Compte rendu rédigé par :
Carine Delanoë-Vieux, responsable culturelle, lab-ah, GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences
Marie Coirié, designer, lab-ah, GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences
Jean-Yves Masquelier, cadre supérieur du pôle 15, GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences
En avril 2017, la Direction des parcours et de l’innovation et le lab-ah (laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité) ouvrent un champ de réflexion et d’expérimentations sur le thème des dispositifs sonores et musicaux dans la prise en charge à l’échelle du GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences.
Un partenariat avec l’IRCAM, l’ENSCI – Les Ateliers et le Master design sonore de l’Ecole Supérieure des Beaux - Art du Mans se concrétise alors par l’accueil d’un atelier pédagogique avec les étudiants de design sonore du 25 septembre au 6 octobre 2017. Ce workshop, encadré par des enseignants et des chercheurs des 3 institutions, met les étudiants en situation professionnelle pour imaginer des solutions à la problématique qui leur sera soumise par le GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences.
La thématique générale de l’hospitalité, explorée par le lab-ah, oriente naturellement la commande vers des dispositifs sonores et musicaux participant de la qualité des conditions d’accueil et de séjour mais également de prise en charge des patients. Cette démarche se situe hors du champ de compétences spécifiques et à visée thérapeutique de la musicothérapie. Pour autant, l’objectif de la recherche dépasse la simple conception d’une musique d’ambiance.
C’est à partir d’un appel à participation à un groupe de travail sur la thématique « Dispositifs sonores et musicaux à l’échelle du GHT Paris Psychiatrie & Neurosciences » auquel une quinzaine de professionnels ont répondu que la commande pour le workshop a été élaborée. Les psychiatres, cadres de santé, psychologues, infirmiers, art-thérapeutes,… ont définir ensemble les termes de la commande à partir de leur projet clinique et de leur pratique de terrain.
Sur le plan institutionnel, c’est le regroupement des trois grands hôpitaux publics de psychiatrie et neurosciences à Paris – Sainte-Anne, Maison Blanche, Perray-Vaucluse - qui est à l’origine d’une sensibilité affichée pour les conditions sensorielles d’accueil des usagers et de travail des professionnels. En effet, en se regroupant, la direction desdits hôpitaux s’est interrogée sur ce qui pouvait faire commun. Quels seraient les traits culturels qui caractériseraient, non pas l’addition de trois identités, mais une seule et même entité intégrative de toutes ses composantes ? Parmi les initiatives allant dans ce sens, le GHT parie sur la valeur fédératrice du thème de l’hospitalité et l’adopte comme l’un des volets de la qualité de service de l’hôpital: le laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité (lab-ah) est né. A travers ce laboratoire, piloté par la délégation culture et design, le GHT se donne des ressources créatives et méthodologiques pour hisser les conditions d’accueil et d’hospitalité des usagers au même niveau que la qualité de prise en charge médicale et soignante.
La deuxième dimension de ce questionnement est existentielle. Force en effet est de constater que nous naissons à l’hôpital, nous souffrons à l’hôpital, nous sommes sauvés à l’hôpital, nous mourrons à l’hôpital, nous éprouvons la perte d’un être cher à l’hôpital. L’hôpital accueille les émotions les plus intenses de nos existences. Nous sommes à l’hôpital plus dramatiquement humain qu’ailleurs. Nous attendons en retour de cette vulnérabilité la plus grande délicatesse. Pour celui qui s’abime dans l’angoisse ou la souffrance, tout fait signe comme attention bienveillante ou violence inutile : un mot, la lumière, la laideur ou la beauté, la nourriture, les odeurs, le son…
Cette dimension existentielle oblige l’hôpital ! En s’ouvrant à la création, il reconnaît sa place au cœur de nos fragilités humaines.
Les propositions à imaginer par les étudiants s’adressent aux personnes soignées dans les hôpitaux de psychiatrie et neurosciences, en soins aigus comme dans les structures de ville. Généralement, ces personnes affrontent des difficultés qui impactent lourdement leur vie ordinaire :
Alors, que peuvent le son et la musique pour ces patients ? Le son et/ou la musique peuvent-ils transcender les solitudes de chacun ? Comment peuvent-ils inciter chacun à s’ouvrir aux autres pour partager, pour construire des passerelles ?
Le son et/ou la musique peuvent –ils contribuer à structurer le temps et l’espace ? Comment peuvent-ils constituer des repères pour se familiariser avec l’environnement et le temps qui passe, pour se sentir rassuré ?
Peuvent-ils agir sur les états émotionnels ? Comment peuvent-ils permettre de se sentir mieux, d’accéder à la rêverie, de trouver la clé de ses émotions, de baisser le niveau d’angoisse ?
Les 8 projets proposés par les élèves adressent des propositions concrètes à ces questions. Dès lors, l’enjeux de l’expérimentation et de l’évaluation clinique et d’usage de tout ou partie des projets apparaît déterminante afin de dépasser le stade de l’hypothèse. Le groupe de travail constitué par les professionnels des services qui ont accueilli le workshop reste mobilisé à l’issue du workshop pour envisager le développement et l’expérimentation in situ de certains projets.
Pour les élèves designers, le travail in situ dans un environnement complexe et spécialisé comme celui de l’hôpital psychiatrique ne va pas de soi. En effet, les étudiants doivent trouver leur place et leur légitimité en tant que designer, développer un regard critique sur l’existant et oser partager leur point de vue, se laisser inspirer par les habitants du service, par son organisation et son histoire, sans se faire « aspirer », c’est à dire en gardant leur capacité à mobiliser leurs ressources créatives et à proposer des scénarios en rupture avec l’existant.
Les étudiants se sont bien insérés dans les différents services et ont compris assez tôt les enjeux thérapeutiques et de bien-être à travers l’utilisation du son. L’immersion dans les espaces, l’échange avec les professionnels et les patients quand cela était possible et la séance d’introduction aux pathologies psychiatrique et à leurs expressions par le docteur Vacheron ont apporté suffisamment de points d’entrée aux étudiants pour leur permettre de faire des propositions justes et audacieuses.
Outre leur pertinence et leurs qualités plastiques et sonores, ces propositions font état d’une compréhension intime des enjeux de fonctionnement et des enjeux symboliques de la prise en charge médicale: revendiquant un soucis d’économie de moyens et une attention à la « bourse » de l’hôpital, les projets sont empreints de simplicité, d’astuces et d’une esthétique « discrète ». Cette « discrétion » des dispositifs leur permet de rester à leur juste place et de ne pas « prendre le pas » sur la relation à l’autre. Car la relation est au cœur des problématiques de la psychiatrie : relation à soi, aux autres, au monde. En cela, les dispositifs sonores et musicaux conçus par les groupes constituent bien des appuis pour retisser la/les relations entre les patients et leur environnement.
Jean-Yves Masquelier, cadre supérieur du Pôle XV (XVe arrondissement de Paris), livre un témoignage sur le projet « Aulos », mené à la policlinique et porté par Jeanne Laborde, Pierre Navarron, Carla Noirclerc et Juliette Colin, étudiants à l’ENSCI et à l’ESBA Le Mans. Aulos est un outil thérapeutique d’aide à la réduction de l’anxiété et de l’angoisse par la musique. Ce dispositif a été imaginé à la demande des équipes pour dépasser l’outil « Music care », expérimenté à la polyclinique. Music care est application numérique qui permet aux patients et aux soignants d'accéder dans leur établissement de santé puis à domicile à des séances de musicothérapie pour diminuer la douleur et l’anxiété pendant les soins.
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Le champ d’application du design sonore semble infini et nous découvrons les possibilités appliquées dans le domaine de la santé mentale. Nous avons le recul d’une expérience très limitée avec un dispositif peu interactif. L’avancée des technologies laisse entrevoir des perspectives de recherche avec une réelle interactivité qui va dans le sens de nos soins ; le patient acteur de sa prise en charge. Nous savons que la pathologie peut quotidiennement présenter des manifestations aigües d’angoisse et la mise en place d’une stratégie non médicamenteuse visant à détourner ce ressenti douloureux est une voie tout à fait prometteuse à l’image des applications visant à réduire le « Craving » dans les addictions.
Plusieurs conditions sont à prendre compte pour développer et utiliser un tel dispositif :
Les propositions des étudiants ont ouvert de nouveaux chemins pour concevoir des dispositifs adaptés, pertinents, faisables et reproductibles pour lesquels il nous faudra collectivement mobiliser les ressources de développement et d’implémentation.
Les anciens séminaires entre 2017 et 2019 sont visibles en replay
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